Par l’abbé Eric IBORRA
Je suis moi-même né, en 1958 au centre de Paris, dans une famille catholique non pratiquante. J’ai été scolarisé dans l’enseignement libre où, je dois l’avouer, l’instruction religieuse ne m’a pas passionné. C’est cependant au lycée que ma foi est vraiment née lorsque je fus confronté à la sécheresse effrayante de la pensée métaphysique de certains philosophes, Voltaire en particulier. C’était vers 1975 et je me suis mis à fréquenter alors assidûment la paroisse Saint Eustache. Celle-ci avait d’ailleurs conservé certaines traditions tout à fait classiques, notamment sur le plan musical (chant grégorien, polyphonie, J-S Bach, …). Mes études m’ont conduit à la faculté de Droit et à Sciences Po et c’est vers 1978 que j’ai entendu l’appel du Seigneur. Le cardinal Lustiger m’a d’abord envoyé en 1982 au séminaire de Louvain en Belgique qui était alors dirigé par un homme remarquable : l’abbé Leonard, futur archevêque de Malines-Bruxelles, puis à Rome à l’Université Grégorienne en 1985.
Au cours de ces années de formation, je n’ai reçu aucun enseignement relatif à l’accueil des convertis. Et d’ailleurs je n’en ai rencontré aucun dans mes premières années de sacerdoce. Ayant rejoint la paroisse Saint Eugène Sainte Cécile, j’ai découvert un nouveau cadre liturgique et pastoral. Depuis les années 1980, cette paroisse proposait des liturgies selon les deux formes. C’est donc là que j’ai appris à célébrer selon le missel de S. Jean XXIII. Et c’est là aussi que j’ai rencontré les premiers adultes candidats au baptême. Le flux est vite devenu substantiel (une quinzaine chaque année !). Puis j’ai rejoint la paroisse Saint Roch en 2019. A la suite de l’incendie de Notre-Dame, notre archevêque avait posé sa cathèdre à Saint Germain l’Auxerrois et avait mis fin à la célébration régulière de la liturgie traditionnelle dans cette église. Celle-ci fut alors déplacée à Saint Roch. Dans cette église, les deux liturgies cohabitent avec la messe traditionnelle chaque dimanche (à 9h30 et 20h) et plusieurs messes selon le Novus Ordo (à 11h00 et 18h30 notamment).
Le nombre de baptêmes en France est un sujet qui est redevenu d’actualité avec l’augmentation du nombre des baptêmes d’adultes et d’adolescents. Cette augmentation a de quoi nous réjouir mais aussi de nous inquiéter car elle reflète pour une part le recul considérable du nombre des baptêmes des petits enfants. Numériquement, en effet, les catholiques sont devenus insignifiants dans la France d’aujourd’hui. Pensons à l’exemple de Toulouse: plus d’un million de personnes dans la rue pour une fête satanique et seulement 650 fidèles pour la consécration de la ville au Sacré-Cœur. Le taux de pratique dominicale reste encore élevé à Paris, de l’ordre de 7-8 %, mais il est souvent tombé en province sous la barre des 2 %. Depuis 2000, le nombre de baptêmes de petits enfants est passé de 400.000 à 200 000, avec une chute à 90.000 au moment du Covid. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer l’augmentation du nombre des baptêmes d’adultes, qui étaient de 2.500 environ en France dans les années 2000 pour atteindre 4.265 en 2019 et ensuite 5.643 en 2023, 7135 en 2024. À Paris, on navigue dans une fourchette de 350 à 400 par an : 418 en 2023, 517 en 2024, certainement une centaine de plus en 2025. On remarque la proportion croissante d’Européens parmi les catéchumènes, reflet de la déchristianisation des populations autochtones. On note aussi le poids croissant des moins de 25 ans, environ un tiers contre 15% il y a quelques années. Ce rajeunissement des catéchumènes se traduit aussi par un rééquilibrage de la proportion masculin-féminin, la part des hommes passant de 35 à 45 %. Autrement dit, dans le diocèse de Paris, les candidats au baptême ont tendance à être aujourd’hui plus jeunes, plus masculins et plus européens qu’auparavant.
Dans la paroisse de Saint-Roch, où sont célébrés des liturgies traditionnelles et des liturgies de Paul VI, nous pouvons observer un mouvement particulièrement net puisque le nombre de candidats est passé de 6 en 2021, 12 en 2022, 25 en 2023 à 56 en 2024. Ils ne sont pas loin d’une cinquantaine pour l’année 2025. Leur âge moyen tourne autour de 23-24 ans. Ils sont aux trois quarts issus de familles déchristianisées : autrement dit, ils avaient souvent des parents baptisés mais non pratiquants, des grands-parents baptisés et parfois (mais pas toujours) pratiquants. Eux-mêmes n’avaient pas été baptisés et n’avait pas été catéchisés. Un quart des candidats est issus de familles dont l’un, voire les deux parents, est musulman, d’une confession orientale (bouddhisme, indouisme…) ou juif. Ceux de tradition musulmane sont trois fois plus nombreux que la somme des deux autres. Mais je note qu’ils n’ont généralement pas reçu de formation islamique et que leurs parents avaient déjà pris leurs distances à l’égard de la religion musulmane. On peut noter qu’à Saint-Roch, à la différence de la moyenne diocésaine, la part masculine est nettement majoritaire avec 70 % de garçons, et les candidats sont plus jeunes, autour de 23-24 ans. En revanche il n’y a pas d’homogénéité particulière marquée sur le plan des origines géographiques ou sociales. Beaucoup viennent d’au-delà du périphérique, de la banlieue ; d’autres sont des provinciaux venus faire leurs études à Paris. Certains sont en formation (études supérieures variées, formations professionnelles), d’autres travaillent déjà.
La motivation la plus importante pour demander le baptême semble être une interrogation profonde et souvent de longue date sur le sens de l’existence dans un monde qui ne leur semble guère en avoir, doublée d’une interrogation sur le christianisme qu’ils ont souvent fréquenté de loin sans vraiment le connaître (par exemple pour ceux qui font des études d’art). La visibilité du catholicisme reste forte à leurs yeux, notamment dans l’art ou l’urbanisme, mais aussi à travers l’histoire et la littérature. Il faut dire aussi que nombre de catéchumènes ont été ébranlés par des événements douloureux : par exemple un bon nombre est issu de parents séparés. Ont pu s’y ajouter des deuils, des soucis de santé, des épreuves affectives ou professionnelles. J’ai été frappé par un témoignage : certains néophytes s’entendent dire qu’ils ont choisi une vie plus facile. On pourrait pourtant penser que la morale catholique est moins simple à vivre que la “non morale” de notre société liquide, mais justement cette liquidité peut inquiéter à la longue par le manque de repères qu’elle offre. Certains candidats sont sensibles à la dimension politico-culturelle du christianisme, vu comme la religion traditionnelle de notre pays, de Clovis à Châteaubriand. La coexistence quotidienne avec les jeunes musulmans interpelle les non musulmans. “Et moi qui suis-je ? Quelle est mon identité ? Quelle est ma religion ? “. Il y a donc aussi une dimension identitaire dans ces demandes, ce qui ne signifie pas qu’elles soient dépourvues de profondeur spirituelle : l’une peut conduire à l’autre. On s’aperçoit que discuter de la foi n’est plus un tabou comme cela pouvait l’être dans les années 1970. Ces jeunes parlent volontiers de leur recherche spirituelle à leurs camarades. Dans un monde sans repères, on les sent à la recherche de certitudes, d’où d’ailleurs le succès des propositions identitaires, comme les évangéliques dans le protestantisme, ou les traditionalistes dans le catholicisme, pour ne pas parler de l’islam radicalisé… En ce qui concerne le christianisme, là où doctrinalement leurs aînés mettaient des bémols, ils demandent des dièses ! Ils réclament des “! " Et non plus des " ?”.
Neuf néophytes de saint Roch sur dix ont opté pour l’ancien missel. J’estime d’ailleurs la proportion de catéchumènes étant baptisés dans une cérémonie de l’ancien missel à environ 15% dans notre diocèse. Pourquoi ? La liturgie traditionnelle les arrache mieux à la banalité de leur quotidien car elle laisse plus de place à la sacralité, grâce à l’emploi d’une langue particulière, le latin, et d’une musique propre, qu’elle soit grégorienne ou polyphonique. Ce n’est pas tant de l’esthétisme, comme on pourrait le croire, que la saisie de la beauté qui émane de célébrations ancrées dans une tradition millénaire. Cette liturgie fait plus facilement saisir la verticalité à laquelle appelle la prière communautaire chrétienne. Par ailleurs, sa lenteur majestueuse invite au silence intérieur sans pour autant nuire à la participation active des fidèles, souvent très impressionnés par ses rites. S’y ajoute un intérêt pour la rigueur doctrinale de la prédication. Car les rites en orientent le contenu : par exemple le grand nombre des génuflexions devant les espèces consacrées fait d’emblée saisir la réalité de la présence réelle du Christ dans l’eucharistie. On pourrait dire que la messe traditionnelle est une " œuvre d’art totale” qui s’adresse aux sens, à l’esprit et in fine à l’âme.
Un dixième des catéchumènes opte pour le missel de Paul VI parce qu’ils bloquent sur le latin et préfèrent une liturgie plus conviviale.
Un bon nombre de ces néophytes a commencé par une recherche sur Internet, et ils sont tombés sur des conférences ou des catéchismes en ligne (ceux des abbés Laguerie ou Raffray par exemple), des vidéos d’évangélisation ou de mise au point (comme celles du frère dominicain Paul-Adrien). Ils ont ensuite cherché une paroisse qui corresponde à ce qu’il avaient trouvé sur internet et sont venus à Saint Roch, facile d’accès à Paris ! Beaucoup aussi ont été amenés par des compagnons d’étude ou de travail. Pour eux, ce fut l’élément qui a “précipité” (au sens chimique du terme) leur recherche antérieure. La formation qui leur est proposée est hebdomadaire et s’appuie sur le Catéchisme. Aux enseignements sur le dogme, les sacrements et la morale s’ajoute une introduction à la Bible, un survol de l’histoire de l’Eglise, une découverte des lieux et des objets du culte, une initiation à la prière liturgique et personnelle. Nous leur présentons également des livres utiles et des revues chrétiennes. Du fait que beaucoup de nos néophytes sont jeunes, la mobilité est grande : césures, stages, premier emploi, mariage, etc. Pour ceux qui restent à Paris ou dans ses environs, nous proposons de rejoindre les activités de la paroisse : service liturgique, schola, organisation de conférences, de repas dominicaux, accompagnement même de futurs baptisés, activités caritatives. La persévérance est un défi, car s’il est relativement aisé de franchir mentalement le pas, il est plus difficile de changer ses habitudes de vie, de déraciner les vices, d’enraciner les vertus. C’est d’ailleurs le défi de toute vie chrétienne, en notre condition blessée par le péché et pas totalement restaurée par la grâce baptismale. Il y a toutefois assez peu de points de la doctrine catholique qui leur soient difficiles à admettre, car ils sont déjà relativement bien informés par la consultation d’internet. On constate évidemment que la morale conjugale ne correspond pas nécessairement à leur expérience personnelle ni à celle de leur entourage. Cependant, cela ne représente pas le facteur de blocage que nous pourrions imaginer. Assez curieusement, ils auraient souvent une certaine tendance à déplorer le manque de fermeté des clercs dans la promotion de la foi. Enfin, ils n’évoquent jamais les scandales liés aux abus commis par certains membres du clergé. En revanche, je suis frappé par leur maîtrise des techniques et des conceptions propres au monde contemporain. Cela concerne évidemment les outils informatiques mais aussi l’existence d’une approche parfois subjective des sujets évoqués. Par exemple, ils ne placent pas tous l’obéissance à la hiérarchie au centre de leur vie spirituelle même s’ils sont très respectueux du clergé. Ils n’hésitent pas à faire part d’une certaine subjectivité laissant une place particulière à l’émotion. L’argument d’autorité n’a que peu de prise sur eux, en particulier en matière liturgique. Il faut dire que plusieurs ont pu être déçus d’expériences liturgiques vécues auparavant.
De façon assez inattendue pour les hommes de ma génération, la liturgie traditionnelle n’est plus vue comme un exercice intellectuel très compliqué et difficile à appréhender car à base de latin et de musique médiévale. C’est plutôt la nouvelle liturgie qui serait parfois perçue comme trop intellectuelle, voire abstraite, tandis que l’ancien missel véhiculerait plus d’émotions, notamment à cause de ses nombreux rites très concrets. Ces jeunes ne veulent pas retrouver à l’église ce qu’ils connaissent dans la société. Ils veulent être transportés ailleurs, vers le Ciel !
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