A quimper, quelle solution pour les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle ?

A quimper, quelle solution pour les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle ?

Le 29 février 2024, le Pape François a reçu le Supérieur de la Fraternité Sacerdotale Saint Pierre accompagné du Supérieur du séminaire de Wigratzbad et du Supérieur du District de France. Les discussions ont notamment porté sur les difficultés rencontrées par la FSSP dans la mise en œuvre du décret du 11 février 2022 signé par le Pape, confirmant le droit propre de la Fraternité Saint Pierre à célébrer la liturgie selon l’ancien ordo. En réponse, François les a encouragés à « servir toujours davantage la communion ecclésiale à travers (leur) charisme propre ».

Ce jour-là, les oreilles de l’évêque de Quimper ont dû étrangement siffler…

Par deux courriers publics des 17 et 22 décembre 2023 envoyés aux fidèles desservis par des prêtres de la Fraternité Saint Pierre, Monseigneur Dognin, évêque de Quimper et Léon a mis en cause le caractère de pleine communion catholique de la Fraternité Saint Pierre, justifiant par cet argument sa décision d’expulser de son diocèse les deux prêtres dont il avait pourtant renouvelé le mandat à peine six mois plus tôt. Dans un raisonnement tâtonnant, Monseigneur Dognin soulignait ses « doutes » en écrivant: « la position de la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre au sein de l’Église en général (…) pose un problème ». Et bien Monseigneur, puisque vous vous autorisez à parler pour « l’Eglise en général », apprenez que la Fraternité Saint Pierre ne pose pas de problème au Saint Père. Plus encore, selon François, le charisme propre de la FFSP doit être mis « toujours d’avantage » au service de la communion ecclésiale, preuve s’il en faut qu’il n’est pas un obstacle à cette dernière.

Si donc le « problème » de Monseigneur Dognin et de nombreux évêques ne vient pas de la Fraternité Saint Pierre, d’où vient-il ?

Il serait tentant de répondre qu’il vient de l’évêque personnellement, ou encore de son presbyterium. Ne cédons pas à cette facilité. Le problème vient, selon nous, de l’inadéquation des réponses apportées par l’Eglise depuis 1988 aux demandes réitérées des fidèles attachés à la liturgie traditionnelle. Trois textes ont jalonné ces 36 ans d’histoire sans fournir une solution adéquate.

Après la fracture provoquée par les consécrations épiscopales sans mandat pontifical par Mgr Lefebvre en 1988, le Pape Jean-Paul II publia le Motu Proprio Ecclesia Dei : c’était un acte ecclésial. Il venait à la suite de la consultation d’une commission cardinalice sur le statut juridique du missel de Saint Pie V en 1982, et de l’indult de 1984 sur la messe traditionnelle. Ce Motu Proprio mentionnait explicitement les fidèles laïcs comme bénéficiaires en ces termes : « A tous les fidèles catholiques qui se sentent attachés à certaines formes liturgiques et disciplinaires antérieures de la tradition latine, je désire manifester ma volonté – à laquelle je demande que s’associent les évêques et tous ceux qui ont un ministère pastoral dans l’Eglise – de leur faciliter la communion ecclésiale grâce à des mesures nécessaires pour garantir le respect de leurs aspirations. »

Ce Motu Proprio venait clôturer, d’une certaine manière, 30 ans de combat liturgique des laïcs depuis 1969, mais il ne fixait ni modalités pratiques ni ordre de juridiction. Seule la création de la commission Ecclesia Dei constituait une forme de gouvernance de la « question traditionaliste », à la vérité très peu directive. La Commission s’est contentée le plus souvent de régler des problèmes internes aux instituts relevant de sa compétence, ce qui était déjà considérable puisqu’elle les plaçait de jure sous le régime du droit pontifical. En revanche, elle n’eut pas d’influence et encore moins d’autorité sur les évêques diocésains, laissant à chacun le soin d’interpréter à sa manière l’appel du Pape à « faciliter la communion ecclésiale grâce à des mesures nécessaires pour garantir le respect (des) aspirations » des fidèles et de leurs prêtres. Dire qu’obtenir la mise en œuvre d’Ecclesia Dei fut, pour les fidèles, un parcours du combattant est un euphémisme. Bien souvent, le Motu Proprio fut assimilé par les autorités à une « parenthèse miséricordieuse » qu’ils entendaient refermer rapidement. Il fallut souvent se mobiliser, souvent argumenter et souvent patienter. Cela dura près de 20 ans…

En 2007, le Motu Proprio Summorum Pontificum du Pape Benoît XVI fut un acte doctrinal. Il se situait dans la ligne des réformes grégorienne et tridentine, et d’une herméneutique de la continuité interprétant la réforme liturgique postconciliaire de Vatican II à l’aune de la pensée du grand théologien que fut Benoît XVI. Summorum Pontificum établi une reconnaissance fondamentale des deux formes du rite latin : ordinaire et extraordinaire, et libéralisa pour chaque prêtre l’usage de la forme extraordinaire. Il reconnaissait également de manière explicite le statut de « groupe stable de fidèles attachés à la tradition catholique antérieure » comme une réalité ecclésiale de fait et de droit, pour laquelle il demandait aux curés d’accueillir « volontiers leurs demandes de célébrer la messe selon le missel de 1962 ».

Sur le terrain, la constitution de groupes stables de « fidèles attachés à la tradition catholique antérieure » accompagna diversement l’implantation de la liturgie traditionnelle : si l’accès à la messe dominicale fut plus aisé, l’accès aux autres sacrements restait laborieux. Les baptêmes, les mariages, les obsèques et surtout les confirmations nécessitaient pour les fidèles des démarches qui contredisaient parfois l’esprit de Summorum Pontificum en dehors des lieux desservis par des prêtres des instituts Ecclesia Dei. Il en résulta en certain « entre-soi » qui servi de prétexte au successeur de Benoît XVI…

Le Motu proprio Traditionis Custodes du Pape François est un acte disciplinaire, pour ne pas dire punitif. Il dispose que « l’évêque doit s’assurer que les groupes célébrant selon le missel antérieur à la réforme de 1970 n’excluent pas la validité et la légitimité de la réforme liturgique, des préceptes du concile Vatican II et du Magistère des Souverains pontifes ». L’évêque doit aussi « indiquer des lieux où les fidèles puissent se réunir pour la célébration eucharistique (mais pas dans les églises paroissiales et sans ériger de nouvelles paroisses personnelles) » et « établir les jours où les célébrations eucharistiques sont autorisées ». Enfin, il « doit veiller à ne pas autoriser la constitution de nouveaux groupes ».

Les motifs invoqués sont que « la possibilité offerte par Saint Jean-Paul II et Benoît XVI a été utilisée pour augmenter les distances, durcir les différences, construire des oppositions qui blessent l’Eglise et en entravent la progression, en l’exposant au risque de division » et que « la relation étroite entre le choix des célébrations selon les livres liturgiques précédant le Concile Vatican II et le rejet de l’Eglise et de ses institutions au nom de ce qu’ils considèrent comme la ‘’vraie Eglise’’ est toujours plus évident dans les paroles et les attitudes de beaucoup. »

Or ces accusations graves ne sont étayées par aucune donnée objective concernant les fidèles laïcs, qui professent au contraire leur foi dans l’Eglise, Une, Sainte, Catholique et Apostolique. Il en résulte que les mesures exécutoires de Traditionis Custodes constituent une forme de punition collective appliquée aux fidèles attachés à la liturgie célébrée selon le Missel de 1962 pour des motifs contestables. Plus grave encore, les intentions exprimées dans la « Lettre aux Evêques » accompagnant Traditionis Custodes visent à imposer le « Rite Romain promulgué par les saints Paul VI et Jean-Paul II » contre le droit des fidèles à bénéficier de l’exercice du culte selon le Missel de 1962, qui n’est autre que le Missel promulgué de manière imprescriptible par Saint Pie V, dûment révisé jusqu’à son édition de 1962 et jamais abrogé. Les restrictions de son usage inscrites dans le Motu Proprio Traditionis Custodes constituent dès lors une violation de la conscience des fidèles par la volonté d’imposer une unique « Lex Orandi » qui serait une réglementation de leur vie sacramentelle sans considération du bien spirituel des fidèles.

Selon les diocèses, la mise en œuvre de Traditionis Custodes a provoqué une forme d’incohérence, pour ne pas dire une situation de chaos, dont les fidèles sont les premières victimes. Le cas de Quimper en fournit un exemple magistral. Alors qu’une visite pastorale de l’évêque en juin 2023 avait confirmé la mission des prêtres de la Fraternité Saint Pierre au service des fidèles attachés à la liturgie traditionnelle dans le diocèse, une décision arbitraire va priver ces mêmes fidèles six mois plus tard de la quasi-totalité des biens spirituels dont ils bénéficiaient. Sollicité pour une rencontre, l’évêque a refusé pendant deux mois de les recevoir, avant de concéder un rendez-vous le 7 mars pour quatre d’entre eux. Mais il ne s’agissait pour Monseigneur Dognin que de signifier sa fermeture à toute solution d’apaisement. Il entend nommer un prêtre responsable de la question, puis parquer les fidèles dans un ghetto auquel ils n’auront accès que le dimanche… Malheur aux fidèles qui habitent là où leur liberté et leurs biens spirituels ne sont plus respectés : ils ne peuvent pas changer de diocèse aussi simplement qu’un évêque. Dans deux ans, Monseigneur Dognin partira en retraite, apparemment indifférent aux brebis dont il aura frappé les pasteurs afin de disperser le troupeau, en leur demandant d’abandonner ce qui fait aujourd’hui l’essence de leur nourriture spirituelle.

La crise dont les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle sont les victimes n’a que trop durée, il est temps d’en chercher une issue. L’Eglise ne peut pas remplir sa mission en laissant dans chaque diocèse des centaines de fidèles se chercher une « paroisse » d’élection qui soit l’assemblage précaire d’un lieu de culte dominical relevant d’un pasteur indifférent, et d’une errance en semaine et lors des jours de fête pour satisfaire tant bien que mal leurs aspirations à se sanctifier selon leurs besoins. Il y a là un anachronisme auquel il faut mettre fin.

Puisque Monseigneur Dognin ne veut pas s’occuper des fidèles de son diocèse attachés à la liturgie traditionnelle, un autre pourrait en recevoir la charge. La diaspora des « tradis » doit pouvoir disposer, au sein de l’Eglise romaine, d’une juridiction propre, d’une circonscription ecclésiastique dédiée comme en bénéficient les catholiques de la tradition anglicane ou les fidèles des patriarcats orientaux qui résident en Europe et qui ont leurs évêques. Cette option a fait l’objet de deux articles récents [1]. Il est nécessaire de lui donner une place dans la réflexion ecclésiale actuelle. On peut même dire qu’il y a urgence, faute de quoi d’autres fidèles seront victimes d’autres évêques, à Quimper ou ailleurs.

Références

  • Dans Sedes Sapientiæ n°165 de septembre 2023 et Tu es Petrus, n° XLI de janvier-février 2024
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